“A change is gonna come”, l’hymne de la lutte des Noirs américains (2024)

Sam Cooke a tout de suite su que c'était l'œuvre de sa vie. Ce fut bien plus que cela pour l'Amérique black, de Martin Luther King à Barack Obama…

Par Laurent Rigoulet

Publié le 09 mai 2014 à 07h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h13

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I feel like going home, de Muddy Waters, I got a woman, de Ray Charles, Zombie, de Fela ou encore War, de Bob Marley… Dans la continuité de l'expo « Great Black Music », à la Cité de la Musique, qui rassemble jusqu'en août cinquante ans de musiques noires, Télérama.fr vous raconte chaque semaine l'histoire d'une chanson qui a traversé les générations.
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Son refrain accompagnait souvent Martin Luther King lors des marches pour les droits civiques et on l'entendait encore sur les boulevards ensoleillés de Harlem le jour de l'élection de Barack Obama. Le premier président noir des Etats-Unis en a même repris quelques mots de lors de son discours victorieux à Chicago. («It's been a long time coming/but change has come to America»). A change is gonna come est devenu, au cœur des années 60, l'hymne de la lutte des Noirs américains.

La chanson de Sam Cooke n'a pourtant pas fait grand bruit lors de sa sortie en 1964. Elle ne fait pas alors l'objet d'une publication en «single» et se retrouve sur la face B de Shake, un tube rythm'n blues particulièrement tonique dont Otis Redding fera, sur scène, son cheval de bataille. Malgré le message d'espoir, le rythme funèbre et les paroles déchirantes («la vie m'a été pénible/mais j'ai peur de mourir») n'ont sans doute pas de quoi affoler les programmateurs des radios nationales.

Sam Cooke, très attaché à sa nouvelle composition, n'a pas le temps de la défendre sur les planches. Il l'interprète sur le plateau du Tonight show de Johnny Carson et ceux qui sont dans les parages, ce soir-là, se souviennent d'une émotion intense, mais les enregistrements ont disparu et, quelques semaines plus tard, l'idole de l'Amérique black est retrouvé mort, à 33 ans, dans un motel de Los Angeles. Il n'a pas vu le changement venir. Pas plus qu'Otis Redding. Le chanteur de Sitting on the dock of the bay, qui jure de reprendre le flambeau, et enregistre sa version d'A change is gonna come, meurt à 26 ans, en décembre 1967. Six mois plus tard, Martin Luther King est assassiné à Memphis.

Des milliers de personnes suivent le cercueil de Sam Cooke, le 18 décembre 1964, le jour de ses funérailles. Certains ont attendu plusieurs heures devant l'église de Los Angeles pour assister à la cérémonie. Muhammad Ali vient se recueillir seul devant la dépouille de son ami. L'émotion est immense, des femmes s'évanouissent, la chanteuse gospel Bessy Griffin s'effondre avant de pouvoir rendre son hommage et c'est Ray Charles qui la remplace, au pied levé, pour interpréter Angels keep watching over me.

Les funérailles de Sam Cook. DR

A l'orée des prometteuses années 60, Sam Cooke est un demi-dieu pour l'Amérique noire. Lors de la décennie précédente, le beau jeune homme de Clarksdale, haut lieu du blues dans le Mississipi, a remportéun succés foudroyant dans les églises d'Amérique. Il se produit dans toutes les villes du pays et ses interprétations survoltées des hymnes religieux déchaînent de telles scènes d'hystérie que ça en devient presque gênant. Les paroissiennes sont en transes et prêtes à le dévorer tout cru.

L'idole du gospel change de chapelle et part à la conquête du marché pop avec You send me. Un raz de marée. En 1963, quand il écrit A change is gonna come, il n'y a guère qu'Elvis Presley pour lui faire de l'ombre. Son répertoire est léger, sentimental et dansant. L'idée d'une chanson engagée lui vient à l'écoute de Blowin in the wind, de Bob Dylan. Il est abasourdi d'entendre un Blanc cerner avec une tel talent et une telle ardeur les aspirations de son peuple.

Sam Cooke a aussi rencontré des étudiants qui organisent des sit in dans le Sud pour protester contre la ségrégation. Le chanteur vient aussi de se faire interdire l'entrée d'un hôtel de Louisiane, en raison de la couleur de sa peau. Il enrage. Il est mûr. Et raconte que les paroles et la mélodie de A change is gonna come lui sont venues dans «un rêve». Un flux d'inspiration magique auquel il n'y rien à changer. Dans la seconde, il est persuadé que c'est l'œuvre de sa vie.

Dans son entourage, personne ne le contredit. La composition laisse ses collaborateurs sans voix et René Hall, le musicien de Louisiane, à qui Cooke confie les arrangements, déploie autour de la mélodie des brumes symphoniques d'une beauté fascinante. L'ex-star du gospel retrouve les puretés de son chant angélique. Le jeune Bobby Womack, que Sam Cooke vient de prendre sous son aile, est un des tout premiers auditeurs de l'enregistrement. Il est sous le choc. «Dis-moi franchement ce que tu en penses », demande sam Cooke. « Ça sent la mort », répond Womack. Avant de se reprendre: «Disons plutôt que l'atmosphère est étrange. On dirait qu'il va se passer quelque chose. » Sam Cooke acquiesce:«J'ai ce sentiment là aussi… Ces violons me donnent le frisson. Comme si quelqu'un venait de mourir. »

Quelques semaines plus tard, le chanteur, dans un état plus que second, débarque, avec une prostituée à son bras, dans un motel des quartiers miteux qui bordent l'aéroport de Los Angeles. Il est 2h35 du matin. La suite est confuse. La jeune fille fuit la chambre de la star avec son portefeuille et ses habits. Sam Cooke débarque en furie, à moitié nu, à la réception où la tenancière du motel est prise de panique. Un coup de feu part. Les dernières paroles de l'auteur de A change is gonna come resteront «Madame, vous m'avez tué. » («Lady, you shot me» !)

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